Deux arrêts récents de la Cour de cassation rappellent que, dès lors que le salarié invoque un manquement à l'obligation de sécurité, les juges doivent rechercher si l'employeur a bien mis en place les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Agression physique
Dans la première affaire, une salariée est placée en arrêt suite à une agression sur son lieu de travail. Après sa reprise, elle est victime d'un malaise pris en charge comme accident du travail. Elle est de nouveau arrêtée. Elle est finalement reconnue inapte et licenciée pour impossibilité de reclassement.
La salariée demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle estime, notamment, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en place les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
La cour d'appel écarte tout manquement de l'employeur dans la mesure où la salariée ne justifie par aucun élément ni de cette agression, ni de la reconnaissance par l'employeur de cette agression. Elle en conclut qu'il ne peut être reproché à l'employeur de n'avoir pris aucune mesure nécessaire pour faire cesser des agissements qui n'étaient ni prouvés, ni reconnus.
La Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle que la cour d'appel aurait dû rechercher si l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de la salariée, dans la mesure où celle-ci avait :
- alerté l'employeur de ses difficultés ;
- été mise en arrêt de travail par deux fois ;
- invoqué un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont elle a été victime.
Accident lors d'un déchargement
Dans la seconde affaire, un salarié est victime d'un accident du travail en déchargeant des sacs de polystyrène transportés dans le véhicule qu'il conduisait.
La cour d'appel déduit de la survenance de cet accident que l'employeur n'a pas pris les mesures permettant de protéger le salarié des conséquences des opérations de déchargement, et ainsi un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
La chambre sociale casse cette décision. Elle estime que la cour d'appel aurait dû examiner les mesures que l'employeur soutenait avoir mises en place.
Ces jurisprudences montrent l'importance pour l'employeur de toujours bien mettre en exergue sa démarche de prévention de l'évaluation des risques réalisée à la mise en place des mesures de prévention. L'existence de mesures de prévention nécessaires et suffisantes dégageant l'employeur de sa responsabilité (Cass. soc., 22 oct. 2015, n° 14-20.173, n° 1732 FP - P + B ; Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444, n° 2121 FP - P + B + R + I).
Il a, par exemple, été jugé que l'employeur remplit son obligation de sécurité et ne voit pas sa responsabilité engagée :
- en cas de difficultés relationnelles : l'employeur qui propose rapidement et à plusieurs reprises de recevoir la salariée qui lui reprochait de n'avoir pris aucune mesure en réponse aux difficultés relationnelles qu'elle dénonçait dans plusieurs courriers une fois placée en arrêt de travail, diligente une enquête, propose de recevoir l'association spécialisée mandatée par la salariée et finalement organise le retour de cette dernière dans l'entreprise en liaison étroite avec le médecin du travail (Cass. soc., 17 avr. 2019, n° 17-20.892) ;
- en cas de harcèlement moral : lorsqu'il organise une réunion le jour même de la connaissance des faits de harcèlement par la directrice du magasin, en présence d'elle-même, de la salariée et d'un délégué du personnel pour évoquer les faits dénoncés, propose un changement de secteur, et, que suite à un entretien entre la salariée et le responsable des ressources humaines, une enquête a été menée par le CHSCT (Cass. soc., 7 déc. 2022, n° 21-18.114) ;
- en cas de violences physiques au travail : l'employeur qui n'était pas informé d'une particulière inimitié préexistant entre les deux salariées et qui a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir une nouvelle altercation avant leur mise en échec par le seul comportement de l'intéressée (Cass. soc., 30 nov. 2022, n° 21-17.184) ;
Remarque : dans cette dernière affaire, deux salariées d'une boutique avaient eu une dispute. Elles avaient sollicité l'employeur par téléphone qui avait dépêché une vendeuse d'une autre boutique à proximité. La dispute avait cessé à son arrivée. Mais l'altercation avait ensuite repris avec des insultes de la part de l'une et une violente réplique physique de la part de l'autre.
- en cas de harcèlement sexuel : l'employeur qui a cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu'elle a été mise au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée et qui a informé l'inspection du travail (Cass. soc., 18 janv. 2023, n° 21-23.796, n° 28 F - B).
Remarque : en l'espèce, une ambulancière licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, avait saisi la juridiction prud'homale en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts. Elle faisait valoir que son inaptitude était la conséquence de faits de harcèlement sexuel de la part de l'un de ses collègues et de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.
Enfin, rappelons qu'en présence d'un AT/MP, un manquement à l'obligation de sécurité peut constituer une faute inexcusable de l'employeur dans la mesure où (Cass. 2e civ., 8 oct. 2020, n° 18-25.021, n° 911 FS - P + B + I ; Cass. 2e civ., 8 oct. 2020, n° 18-26.677, n° 912 FS - P + B + I ; Cass. 2e civ., 29 févr. 2024, n° 22-18.868, n° 174 F - B) :
- l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur ;
- et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires et suffisantes pour l'en préserver.
Dans une affaire récente, la faute inexcusable de l’employeur a ainsi été retenue (Cass. 2e civ., 29 févr. 2024, n° 22-18.868, n° 174 F - B). En l'espèce, suite à l'agression physique d'un personnel soignant au sein d'un service d'urgences, soumis à de nombreux actes de violence, l’employeur avait recruté un maître-chien et organiser de façon régulière des formations sur la gestion de la violence et les situations traumatisantes.
La Cour de cassation a estimé que la première mesure était manifestement insuffisante et que la seconde était sous-dimensionnée par rapport à la réalité et à la gravité du risque encouru.
Elle a décidé que les mesures de protection mises en œuvre par l’employeur étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d’agression auquel était soumis son personnel.