La chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu la notion de « harcèlement moral institutionnel », que la cour d’appel de Paris et le tribunal correctionnel avaient fait entrer dans la jurisprudence, dans l'affaire France Télécom.
Une décision qualifiée d'« historique par les syndicats »
Ce jugement de la Cour de cassation confirme ainsi les décisions de la cour d’appel de Paris et, avant elle, du tribunal correctionnel qui avaient fait entrer cette notion de « harcèlement moral institutionnel » dans la jurisprudence, par leurs jugements respectifs des 30 septembre 2022 et du 20 décembre 2019, en se basant sur l’article 222-33-2 du code pénal, qui vise le « harcèlement moral au travail ». Une décision qualifiée de « historique par les syndicats ».
Ces agissements, survenus pendant la période 2007-2008, marquée par 30 suicides, constituent donc bel et bien une infraction pénale.
La Cour de cassation reprend ainsi à son compte le raisonnement du tribunal correctionnel puis de de la cour d’appel de Paris : le harcèlement moral institutionnel entre bien dans le champ du « harcèlement moral au travail » tel que le conçoit le code pénal. En effet, le législateur a donné au harcèlement moral au travail « la portée la plus large possible ». D’une part, la loi n’exige pas que les « agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ». D’autre part, elle n’impose pas que les « agissements répétés s’exercent dans une relation interprofessionnelle entre l’auteur et la victime ». En clair, le fait qu’auteur et victime appartiennent à la même communauté de travail est suffisant.
Répondant à la critique des prévenus selon lesquels la justice n’avait pas à s’immiscer dans une stratégie d’entreprise, la Cour de cassation objecte que la loi permet ainsi de réprimer des agissements répétés qui s’inscrivent dans une « politique d’entreprise », c’est-à-dire « l’ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action ».
Ces agissements sont ainsi caractérisés par « une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs, ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ».
La Cour de cassation souligne également qu’une telle politique relève du pouvoir de direction. En conséquence, les dirigeants doivent « examiner la méthode utilisée pour la mettre en œuvre afin de déterminer si elle excède le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d’entreprise ».
Or, pour les hauts magistrats, cette politique reposait sur la « création d’un climat anxiogène » et s’est traduite par la « pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique », la « prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement » et le « conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées ». Ils constatent également que « la faute la plus importante a été de passer d’un objectif indicatif à un objectif impératif, devant être atteint "coûte que coûte", alors que les salariés étaient dans leur immense majorité fonctionnaires, ne pouvant pas faire l’objet d’un licenciement économique ».
Et précisent que la responsabilité pénale personnelle des dirigeants poursuivis repose sur « la décision partagée de mener une telle politique de déflation à marche forcée fondée sur des agissements harcelants mais aussi sur une mise en œuvre coordonnée de cette politique et, enfin, sur un suivi vigilant pendant trois ans ».